La tragique rouerie du Hamas.

Le titre de cet article de Renaud Veeckman, que je publie ici, était à l'origine "Le génie tragique du Hamas". Mais décidément associer dans un titre génie et Hamas, ça me chiffonne : cette proximité des deux termes n'a t-elle pas quelque chose d'obscène? Étymologiquement, génie vient du grec "genos" et il se retrouve dans génitoire, génétique, généalogie, génération, bref tout ce qui a trait à la transmission de la vie. Quant au génie du point de vue de l'oeuvre ou de l'artiste, il signifie originairement fécondité, avec l'idée de créations hors-normes, et comme douées de vie propre. On voit ici le caractère scabreux du rapprochement entre le nom de l'organisation terroriste, associé désormais à la tuerie sans nom du 7 octobre, et un substantif se rapportant à la vie et à la fécondité.

A part son titre, je n'ai pas changé une virgule de ce texte, qui analyse avec perspicacité les ressorts de la machination dont nous sommes prisonniers et qui donne un coup de projecteur salutaire sur la logique mortifère qui est à l'œuvre dans cette manipulation planétaire qui s'appelle Gaza : pourquoi ne pouvons-nous pas gagner cette guerre qui indigne si fort l'Occident ? 

Ce texte brillant nous révèle en quoi la guerre actuelle est asymétrique, et je ne parle pas ici de guérilla urbaine. Le lecteur tirera ses propres conclusions en ce qui concerne la façon dont il faudrait sortir du piège : la machination fonctionne, pour l'instant. Mais tout le monde a un point faible... Y compris les organisations terroristes. Comme ce sera le sujet d'un prochain article, je préfère pour le moment m'abstenir de tout commentaire supplémentaire.

C.S


Il faut se résoudre à penser l’innommable, non pour le justifier, mais pour en comprendre la stratégie profonde. Ce que l’on nomme, avec un mélange de stupeur et de dégoût, « le Hamas », n’est pas seulement une organisation terroriste. C’est un acteur politique à la lucidité glaçante, capable d’utiliser les leviers les plus archaïques du sacrifice, les ressorts les plus modernes de la médiatisation, et les angles morts les plus prévisibles des sociétés libérales. Son génie est tragique, non au sens laudatif, mais au sens précis : il a su concevoir une guerre qui ne peut être gagnée par l’adversaire, parce qu’elle ne vise pas la victoire.

Le 7 octobre ne fut pas une opération militaire, mais un acte rituel. Le but n’était pas d’avancer des pions sur un échiquier, mais de déclencher une chaîne de conséquences irréversibles : l'humiliation d’Israël, la réactivation d’une mémoire collective musulmane de la dépossession, et la fabrication d’un piège éthique pour l’Occident. Ce n’était pas un coup de force, c’était une tragédie écrite pour que toute réponse apparaisse comme un aveu.

La stratégie du Hamas repose sur une géométrie inversée du conflit. Il n’a ni supériorité militaire, ni vision étatique, ni désir de paix. Il a mieux : une capacité à transformer l’impasse en horizon. Il ne cherche pas à gagner, mais à rendre impossible toute victoire adverse. En tuant des civils, en prenant des otages, en enracinant ses bases dans les zones civiles les plus densément peuplées du monde, il rend la guerre militairement intenable, politiquement suicidaire, et moralement indéfendable. Il construit ainsi un espace où toute action de l’adversaire est déjà une faute.

Il faut mesurer l’audace - et l'efficacité - de cette logique. Elle repose sur un principe sacrificiel : perdre tout, pour que l’autre ne puisse rien gagner. Gaza peut brûler, ses enfants mourir, ses hôpitaux s’effondrer : cela fait partie du dispositif. Ce n’est pas un effet secondaire, c’est un levier. L’horreur n’est pas un obstacle, elle est un langage. La guerre devient image. Le sang, un support médiatique.

Et l’Occident, pris dans sa propre architecture morale, répond exactement comme prévu. Il s’indigne, s’émeut, s’interroge, se divise. Il projette sur le conflit ses propres normes, exige des cessations immédiates, des proportions, des conditions impossibles. Il veut une guerre propre dans un théâtre conçu pour l’impur. Or le tragique ne tolère pas la propreté : il salit tout ce qu’il touche, y compris ceux qui tentent de rester propres.

La plus terrible réussite du Hamas n’est pas militaire. Elle est dans le récit. Il a compris que l’Occident ne croit plus en ses propres vertus. Que l’émotion y précède le jugement, que la culpabilité y remplace la stratégie, que la visibilité vaut plus que la réalité. Il ne s’adresse pas à Tsahal, mais aux consciences fatiguées de l’Europe. Il ne vise pas Jérusalem, mais les plateaux de télévision.

La guerre est déjà perdue lorsqu’elle se mène dans un langage que l’adversaire a construit. C’est cela, le piège. Israël, en répondant militairement, s’enlise. L’Occident, en moraliste désorienté, vacille. Le Hamas, lui, n’a pas besoin de tenir Gaza : il suffit qu’elle saigne, et que le monde regarde.

Le génie tragique du Hamas réside dans sa capacité à créer une guerre plus performative que militaire, plus symbolique que stratégique, et plus durable que toute paix possible. Une guerre qui désarme par l’image, et qui rend la paix inacceptable en la rendant impossible. C’est précisément là que réside le vertige : dans cette transmutation du conflit en narration sacrale où la destruction de soi devient un levier pour l’effondrement de l’autre.


              Renaud Weeckman

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Lettre ouverte aux étudiants manifesteurs de haine anti-israélienne

La nouvelle série américaine : Brigitte, my crown !

Affaire Sansal : haro sur le Stora !