Fatigués, mais vivants.
Evidemment, avec cette plaie béante des morts et des destructions de ces derniers jours, et surtout après les bombardements d'hier matin qui portent à six le nombre de morts à Beershéva, ce cessez-le-feu semblait impensable. Je me suis dit que Bibi n'était pas homme à se laisser dicter une trève avec l'ennemi. Qu'il allait aller jusqu'au bout. J'étais prête, comme l'ensemble de mes compatriotes, à subir encore quelques jours de guerre, avec toute la tension et la désorganisation que cela suppose. Et la fatigue...
Mais les avions qui étaient partis direction l'Iran, des bombes sous les ailes, ont été rappelés et finalement il a été décidé qu'Israël ne répliquerait pas à ce coup tordu des mollahs. Tant pis ou tant mieux. On nous dit pas tout et Dieu sait ce que Trump et Bibi se sont dit.
Finalement c'est bien que ça s'arrête, ces deux dernières semaines ont été épuisantes : vendredi 13, une alerte sur les coups de trois heures du matin nous a tirés du sommeil. Je me souviens d'avoir été réveillée un quart d'heure avant environ, par le vrombissement des avions qui avaient décollé en masse et qui passaient en faisant un vacarme très inhabituel. J'ai cru à une méga-attaque à Gaza, ou contre les Houtis... J'ai attendu, comme tout le monde je suppose, le bruit de l'impact d'un missile, après la sirène, mais rien, le silence... En sortant du mamad, j'ai regardé le fil d'infos sur la chaîne Telegram de Marc-Mordechaï Fitoussi, Israël Eternel, un groupe dédié à la « sécurité d’Israël en temps réel » avec des commentaires qui font du bien, pleins d'humour, je recommande, et j'ai vu que cette sirène était en fait un avertissement, l'état d'urgence était décrété, car Israël venait de lancer une attaque préventive contre l'Iran et était en train d'attaquer à Téhéran. Qu'à Jérusalem, le cabinet de guerre était réuni.
Le début de l'Opération Am Kélavi était lancé. L'espace aérien fermé. Le point de non-retour avait été atteint et l'Iran qui préparait la bombe atomique depuis des années, allait concrétiser ses menaces d'extermination : il était sur le point d'avoir l'arme atomique, pour nous la lancer sur la cafetière.
The bomb, Latma TV, parodie, 2011
Des années que Bibi prévenait, à la télé, à l'ONU, à la Knesset, partout. Au moins depuis les années 90... On en parlait, du danger d'un Iran nucléaire, depuis des années et même très récemment. Je me disais "paroles, paroles, paroles"...
Quel soulagement, il était enfin passé à l'action !
Il a surpris tout le monde.
La réaction des Iraniens n'a pas été immédiate, ils ont attendu qu'on soit en plein repas de Shabbat, vers 21h15, il a fallu abandonner nos assiettes et descendre aux abris. Je passais Shabbat chez mon amie Clara, chez elle il faut descendre un escalier pour se rendre au miklat. Sa maman, qui est invalide, et en fauteuil roulant, ne peut pas y être descendue, alors on la roule dans le couloir et Clara attend avec elle jusqu'à la fin de l'alerte. Pas top, mais bon. A la guerre comme à la guerre. Et puis maintenant il y a cette application sur les téléphones qui nous permet d'être avertis, une demi-heure avant, que des missiles sont en route et qu'on essaie de nous tuer.
Des alertes on en a eu encore deux je me souviens, une vers 1h du matin, l'autre à l'aube, à cinq heures vingt. Il a fallu sauter du lit et se vêtir décemment, avant de descendre rejoindre les autres en bas, Clara ne plaisante pas sur la tsnioute, je vous assure. (La tsnioute, c'est la modestie dans tous les sens du terme, au point de vue caractère comme vestimentaire, ne pas montrer tous ses avantages...😉)
A Jérusalem, mon amie Sarah n'a pas de mamad dans son appartement, et elle est obligée d'aller se réfugier dans le miklat. Parfois elle n'a pas le temps pour la tsnioute, ni la force de courir, alors elle reste dans les escaliers. Elle m'a même confié avoir dormi une fois tout habillée. Quant à Rivka, mon amie qui vit à Névé Daniel et qui m'avait invitée pour le Shabbat d'après, c'est à dire vendredi dernier, elle laisse la maison ouverte pour que ses voisins du dessus puissent venir dans son abri anti-bombes, ce qui est rigolo c'est qu'ils ont dix enfants et qu'en tout ils sont douze... Ils ont débarqué deux fois, j'ai dû m'organiser, pour la tsioute, car Rivka non plus ne plaisante pas avec ça, et le lit qu'elle m'avait préparé était... dans le mamad ! Qui sert aussi de salle de jeux pour ses nombreux petits-enfants.
Des barrages de centaines de missiles ont été lancés contre nous du nord au sud, de Naharia à Eilat... Bilan : une soixantaine de blessés dans la région de Tel Aviv. A la sortie de Shabbat on a appris qu'il y avait des blessés et malheureusement trois morts. Et puis quand j'ai voulu rentrer chez moi, on a appris que des missiles étaient en route. Clara m'a dit reste...
Les nuits ont été courtes. J'ai eu du mal à me lever pour aller travailler. J'ai trouvé les malades dans des dortoirs, descendus au 2ème sous-sol comme au début de la guerre de Simhat Torah (je travaille comme musicienne à l'hôpital psychiatrique de Beershéva) et normalement quand j'arrive, les équipes soignantes ont réuni autour du piano ceux qui veulent participer à l'activité. Là, rien, les patients livrés à eux-mêmes et la moitié d'entre eux encore au lit ! Du coup je me suis demandé si je n'allais pas leur jouer des berceuses ou en tout cas, ne pas jouer trop fort pour ne pas les déranger !
J'ai rouspété, mais qu'est-ce que c'est, comment voulez-vous que je travaille dans ces conditions, c'est pas sérieux, on m'a répondu qu'en temps normal les chambres sont fermées dès huit heures du matin mais que là, vu qu'ils sont en dortoirs collectifs, pas moyen de fermer et donc de les empêcher de rester au lit. Soit. A la guerre comme à la guerre. Bis.
Les attaques ont continué, alertes quotidiennes, les gens se sont barricadés chez eux, la sirène sonnait dans tout le pays, des blessés à Ramat Gan, Tel Aviv, Bat Yam, Rishon-lé-Tsion... et puis jeudi dernier, ce tir de missiles sur Beershéva, un bombardement atrocement long et terrible, et ce miracle à Soroka : un missile a atterri sur le toit de l'hôpital et a déclenché un incendie, l'étage supérieur (le 5ème) avait heureusement été évacué suite à un ordre du misrad habriout, (le Ministère de la Santé) et le département chirurgie déplacé à un étage inférieur, je n'ose pas penser au carnage sinon. Premier miracle. Le deuxième, c'est que le piano à queue, dans le grand hall des urgences, et sur lequel je joue souvent, n'a pas été touché ! Alléluia !
Des miracles, y'a eu que ça ! Et ce type au visage tout égratigné qui raconte qu'il est parti aux toilettes et que ça lui a sauvé la vie, d'un coup les vitres lui ont sauté au nez, et quand il est revenu, il y avait un missile dans son salon !
Évidemment les bombardements qui visaient les zones résidentielles (en clair, les civils) ont causé des destructions, des incendies, et nous déplorons la mort de 28 personnes. (Sans compter les sept jeunes soldats tués hier soir à Gaza, hélas.) Mais on est loin des milliers de morts que devait causer chez nous cette opération préventive contre l'Iran selon les prévisions du gouvernement. De notre côté, on leur a tué beaucoup de généraux, d'officiers supérieurs, de Gardiens de la Révolution, et de savants spécialistes du nucléaire. (Quel dommage, d'avoir à tuer des savants...)
Nous avons survécu. Sauf les quelques-uns comme ici à Beershéva, qui ont perdu la vie dans les bombardements. Notamment hier matin, juste avant le cessez-le-feu. Et paraît-il que maintenant c'est fini. J'arrive pas à y croire vraiment, et je me chante, sur un air connu, ''mais oui mais oui, la guerre est finie...'' Partout la vie reprend, peu à peu.
Et aujourd'hui, tout a réouvert, les centres commerciaux, les matnassim ( centres culturels municipaux, où l'on répète, à la chorale) les piscines... Les salons d'esthétique, les coiffeurs. Tout.
Pas les écoles. Demain ?
Oui, il était temps que ça s'arrête, tout le monde était à cran, les gens bossaient depuis la maison, avec les enfants dans les pattes, les rares boutiques ouvertes étaient désertes, les rues, vides... Un genre de séguer, (en français, confinement) comme pendant le corona. Plus court, mais beaucoup plus éprouvant pour les nerfs.
Nous sommes fatigués, mais vivants. Ma photo d'illustration proclame qu'Israël est vivant mais mort de fatigue, je trouve qu'il faudrait dire l'inverse : nous sommes tous crevés, mais nous avons survécu.
Morts de fatigue, oui, mais vivants.
On l'a encore échappé belle. Ils ont essayé de nous tuer mais n'ont pas tellement réussi. Quant à l'épée de Damoclès au dessus de nos têtes qu'était le nucléaire iranien elle a été plantée dans le cul des mollahs servi pour embrocher quelques généraux et quelques chefs des Gardiens de la Révolution. On espère toujours que le peuple iranien va virer cette bande de malfaisants qui les opprime depuis trop longtemps. Mais maintenant ça dépend plus de nous.
Am kélavi, âme qu'est la vie !
Alors OK, le lion s'est levé, il a rugi et il a bondi sur ses ennemis. Oui, il les a salement déchirés et les a mis en mille morceaux, eux, leurs centrales nucléaires, leurs armes stratégiques, leurs missiles, leurs usines, et leurs raffineries et tout leur bataclan.
Il les a éclatés !!!
Le lion a bondi mais maintenant il en a plein les pattes. Il est cuit, saoûl de fatigue. Un peu euphorique aussi, et très fier, car après tout, dans la jungle, terrible jungle du Moyen-Orient, le patron maintenant, c'est lui !
Aujourd'hui, c'est la nouvelle lune, nous entrons ce soir dans le mois de Tamouz. Hodesh Tamouz tov lécoulam.🙏🩵
Catherine Stora
Beershéva, mercredi 25 juin 2025
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