Où va la Calédonie ? Valls réunit aujourd'hui les principaux partis en conclave à l'Hôtel Sheraton.
Aujourd'hui, lundi 5 mai de l'An de Grâces 2025, on commémore le 27ème anniversaire de l'Accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998.
Dix ans auparavant, jour pour jour, à Ouvéa, l'assaut avait été lancé contre des preneurs d'otages Kanak du mouvement indépendantiste FLNKS, retranchés dans une grotte. Pour libérer les gendarmes pris en otages après l'attaque de leur gendarmerie le 22 avril 1988, (1) Paris avait décidé d'employer la force, de mener une opération ; l'armée avait été envoyée, des troupes d'élite et le GIGN... Les otages avaient été délivrés une douzaine de jours plus tard, donc, le 5 mai 1988. Un véritable massacre, au cours duquel 19 parmi les preneurs d'otages Kanak avaient été tués, ainsi que quatre gendarmes et deux parachutistes, et qui continue de hanter les Calédoniens, qu'ils soient Kanak ou Caldoches.
Depuis les années 70, une sorte de guerre civile larvée entre Kanak indépendantistes et Caldoches loyalistes (voulant rester français) couvait, se manifestant par des rixes, des assassinats de militants, des pillages de maisons et d'élevages caldoches : des gendarmes descendent des Kanak ou se font descendre... Embuscades meurtrières, représailles, hommes abattus par le GIGN, un genre de vendetta sévit sur l'île, jusqu'à la prise d'otages d'Ouvéa et son dénouement tragique. Dix ans plus tard, cet Accord de Nouméa signé par l'Etat français et tous les partis politiques présents sur l'île et qui prévoyait la tenue de trois référendum. Il devient à présent caduc : le dernier referendum a été boycotté par les Indépendantistes, qui ont appelé à l'abstention, la date du vote ne leur convenant pas. Et en attendant, la réponse du peuple calédonien, à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » a été négative. Mais son avis n'est pas validé... Un peu comme quand on dit non à Mastricht et qu'il passe quand même deux ans plus tard, en 2007, avec le traité de Lisbonne.
Une population calédonienne multi-ethnique
Les gens vivaient ensemble jusque là, tant bien que mal, Caldoches, Kanak, Métros, Wallisiens... Les Caldoches, ce sont les descendants des bagnards, envoyés par bateaux entiers (il fallait alors six mois pour arriver) en Nouvelle-Calédonie par la France qui se débarrassait ainsi des prisonniers de droit commun et des agitateurs, des Communards, après la chute de la Commune de Paris. C'est une population très métissée. Ce sont les Kanak qui les appellent ainsi. Les Kanak, c'est à dire les Mélanésiens, peuple autochtone, et réputé anthropophage au XVIIIème siècle, sont des Noirs.(2) Et puis, il y a ceux que l'on appelle les Métros, les Français qui viennent avec un contrat de quatre ans, renouvelable une fois, et qui peuvent demander, s'ils souhaitent rester au delà, un statut de résident permanent. Ils sont fonctionnaires : profs, gendarmes, pharmaciens, maitres-bottiers pour l'armée (le RIMaP, Régiment d'Infanterie de Marine du Pacifique) infirmières, médecins, kinés, ils travaillent tous dans les administrations du Territoire. Le Territoire, ou plus familièrement, le Caillou : c'est la Nouvelle-Calédonie, appelée plus simplement la Calédonie. Les Kanak l'appellent Kanaky. Et puis il y a les Wallisiens, qui viennent manger l'pain des Calédoniens, c'est à dire des Caldoches, des Kanak et des Métros, attirés par de meilleures conditions de travail qu'à Wallis et Futuna. On les reconnaît à leurs machoires carrées et leurs yeux légèrement bridés. Surtout à leur carrure imposante, deux mètres de haut minimum, ce sont des mecs vraiment barraqués... énormes, au physique d'haltérophiles ou de déménageurs de piano. (Un dans sous chaque bras...) Une expression sur l'île est révélatrice et résume très bien : ''il était dans un état, mon vieux... à faire peur à un Wallisien !''
Donc les gens, dans cette île, vivaient ensemble tant bien que mal, plutôt bien, avais-je trouvé, tant à Nouméa, où ma fille est née, qu'en tribu, où j'ai habité, à Canala (Côte-Est) à Tiéta (Province Nord) à Moindou, petit village entre la Foa et Bourail... J'ai vécu en Calédonie pendant près d'une dizaine d'années et malgré un certain malaise - inégalités génantes, entre Kanak et ''Blancs'' (Métros et Caldoches) et un climat de violence larvée, les jeunes Kanak persistant à s'alcooliser alors que manifestement leur organisme ne supporte pas l'alcool et provoque des passages à l'acte, de la violence et de la déchéance - j'avais trouvé que la vie, bien que chère, était là-bas bien agréable. Ce pays est un petit paradis du bout du monde.
Mais depuis le 13 mai 2024, le petit paradis a pris un sérieux coup dans l'aile.
Voilà presque un an, le vivre-ensemble (3), qui s'était sérieusement dégradé ces dernières années, a été brutalement mis à mal, c'est le moins qu'on puisse dire : barrages, émeutes, incendies et pillages, la Nouvelle-Calédonie a été la proie de troubles sérieux, il y a eu des morts parmi les civils et les forces de l'ordre, 14, en tout, et plus de 300 blessés. Des magasins brûlés et pillés, des milliers de gens se sont retrouvés au chômage, leurs usines et leurs entreprises ayant été incendiées et détruites partiellement ou totalement... A cause des destructions, il y a eu des restrictions alimentaires, et les gens ont fait la queue sur des dizaines de mètres pour pouvoir entrer dans un supermarché ou une épicerie. Leurs achats étaient limités. Un an plus tard, c'est toujours le marasme et l'avenir semble bouché.
Dégel du corps électoral
En cause, le dégel du corps électoral. Non, le réchauffement climatique n'est pas en cause, il s'agit d'une réforme décidée par le gouvernement français, il s'agissait de modifier la composition du corps électoral : d'après ce fameux Accord de Nouméa, dont on célèbre aujourd'hui les 27 ans, seuls les gens qui pouvaient justifier d'une présence sur le territoire datant d'avant 1998 pouvaient voter. Mais le Conseil Constitutionnel avait annulé en 1999 ce gel du corps électoral, considérant que ces dispositions étaient injustes puisqu'elles portaient atteinte à l'exercice du droit de vote, et décidant qu'une présence continue de dix ans était suffisante. Vu la forte opposition des Kanak indépendantistes, Jacques Chirac était revenu sur cette nouvelle disposition et avait réintroduit le fameux gel du corps électoral en l'inscrivant directement dans la Constitution : la loi constitutionnelle avait été adoptée en 2007 par 724 voix pour et 90 contre.
Mais les exclus du vote sont de plus en plus nombreux en Calédonie : cette situation de blocage a abouti à priver de droit de vote un cinquième des électeurs. Les gens qui pouvaient voter ont voté ''non'' lors des trois référendums portant sur l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, en 2018, 2020, et 2021. Les indépendantistes ont boycotté le dernier et refusent de reconnaître le résultat du référendum.
Et puis soudain, il y a un an, un vol de voiture qui a mal tourné, des jeunes se sont fait tirer dessus dans le véhicule qu'ils venaient de voler, et tout a basculé : devant les émeutes, les voitures et les maisons incendiées, les pillages, les bloquages et les barricades érigées par des citoyens qui tentaient de défendre leurs biens, le couvre-feu a été ordonné, le GIGN et le RAID ont été envoyés depuis la Métropole et déployés dans l'île pour tenter de reprendre le contrôle de la situation. Mais les dégâts sont hélas innombrables, il y en aurait pour plusieurs milliards d'euros. Les gens peu à peu perdent espoir, une solution politique semblant hors de portée.
Tout cela me fait de la peine, j'ai peur pour ce petit paradis lointain si attachant et si terriblement menacé. Forcément, j'y ai laissé des copains, des amis, même, dont Françoise, qui a sa maison à Tontouta, et qui songe sérieusement à partir depuis les émeutes qui ont éclaté l'année dernière. Elle est née là-bas, elle aime son pays, mais dit qu'elle n'a plus envie de rester, dans ces conditions. Que ça ne correspond plus à ses aspirations. Elle refuse de vivre avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête, comme elle dit, et s'organise pour partir. Et ma foi, je la comprends. Elle n'est d'ailleurs pas la seule à préparer ses bagages, ceux qui peuvent s'en aller se préparent au départ. Les autres, ma foi, ils n'ont pas le choix...
- Politiquement, ça n'avance pas, et c'est pas Valls qui va y changer quelque chose, me dit Françoise, qui m'apprend que c'est la troisième fois qu'il vient, cette fois avec un document dans ses bagages. Le ministre des Outre-Mer a réuni aujourd'hui les principaux partis dans un ''conclave'', sic, qui va durer trois jours, organisé un grand hôtel ; et cet après-midi a eu lieu la première rencontre à l'hôtel Sheraton, dans le domaine de Goro Déva. C'est un lieu paradisiaque mais presque au dessus de Poé, près de Bourail.(4)
Dans le reste du pays, pour le moment, tout fonctionne, ou à peu près, mais la catastrophe a été évitée de justesse lorsqu'il a fallu voter le budget. Comme ici en Israël, en Calédonie ils ont eu du mal à voter le budget, qui est finalement passé à une voix près : il y avait 25 voix pour et 25 voix contre, la Présidente du Congrès a voté, et comme son vote est prépondérant, le budget a pu être adopté, mais comme on dit, ils ont eu chaud aux fesses.
- Ils veulent le chaos, dit Françoise, que ça soit le bordel et qu'il n'y ait pas de négociations. Ils disent qu'ils veulent récupérer leurs terres. Et pour ça, ils détruisent les écoles, les églises, les bâtiments publics, tout ça c'est la France, tout ça, c'est la colonisation, ils n'en veulent plus. Ce qu'ils veulent, c'est l'indépendance. C'est une obsession. Ils veulent leur indépendance. Chasser la France, pousser les Loyalistes (ceux qui veulent rester Français) à partir. En utilisant le terrorisme, ils pensent se débarrasser des Blancs, des colons, des oppresseurs...
Dont la plupart sont nés en Calédonie, eux aussi. Et qui ne sont pas tous exactement des Blancs... Et qui, eux non plus, n'ont pas d'autre pays, comme dit une chanson israélienne que j'aime bien. (5) Qui savent bien que si la France s'en va, une autre puissance mettra le grappin sur le Caillou, l'Australie, la Chine, Azerbaïdjan... L'Amérique ?
Toi aussi tu attends les Américains ?
Entre Népoui et Poya il y a un terrain d'aviation qui appartient aux Américains, me dit Françoise. C'est un terrain de plusieurs hectares, précise t-elle, et loué pour une période de 99 ans. Ils étaient présents pendant la Seconde guerre mondiale et y sont restés quelques années par la suite. Et là, ils sont en train de nettoyer le terrain d'aviation : une rumeur court, comme quoi les Américains seraient bientôt de retour... D'autres signes, par exemple, il y a ce jeune type entré en politique contre Emmanuel Djibaou, un certain Nicolas Metzdorf, député de la Première circonscription, et anti-indépendantiste, élu en juillet 2024 à l'issu des dernières législatives, et parti à Washington pour aller discuter de la situation de la Nouvelle-Calédonie. Scoop : Trump a exempté la Calédonie de tout droit de douane... Ici en Israël, on paie 17%, la Calédonie, zéro !
Trump serait-il capable de nous dégotter une solution, alors que Macron et consorts, Valls, en l'occurrence - peinent à en trouver une qui satisfasse tout le monde ? Attendons le 7 et la fin du conclave... Peut-être entendra t-on crier aussi en Calédonie ''habemus papam !''
En tout cas, ici en Israël, la solution qu'il propose est la moins pire de toutes. Je trouve qu'il vaudrait mieux que ce soit Israël qui annexe Gaza, mais si les Américains veulent s'installer à Gaza et y créer une riviéra, pourquoi pas ? Tout, plutôt que les arabes, que ce soit le Hamas ou l'Autorité palestinienne c'est kif kif bourricot.
- Toi aussi tu attends les Américains ? me dit Françoise en rigolant. Ma foi, ils nous soutiennent depuis longtemps et en ce moment, plus que jamais. Alors...
Certains voient le conflit israélo-arabe comme une nouvelle guerre d'Algérie. C'est mal connaître et l'histoire, et le présent, et les belligérants en présence. Je peux bien, moi aussi, oser un parallèle : ce climat insurrectionnel à cause d'une réforme institutionnelle, ce recours au terrorisme par des gens qui essaient d'arracher un Etat en braquant un pistolet sur la tempe de l'autre, cet irrédentisme, qui se traduit par le refus d'accepter le résultat d'un vote, et même de trois, et enfin ce mépris du pays pour lequel ils se battent, et qu'ils ne craignent pas d'abîmer, en l'incendiant, tout cela me rappelle quelque chose... Oui, à vous aussi je pense.
Sauf que s'il existe un peuple autochtone en Israël, comme les Kanak en Calédonie, ce sont les Juifs, chassés de chez eux au cours des siècles, partout massacrés, et qui sont, à la faveur d'une lutte contre les colons anglais -puisqu'il est question pour la Calédonie de lutte anti-colonialiste- et après deux mille ans d'exil, enfin rentrés à la maison.
Catherine Stora
Notes
1) Soit deux jours avant le premier tour des élections présidentielles de 88.
La prise d'otages et l'assaut sur la grotte d'Ouvéa, vidéo de France 24
2) Noir, de l'ami Paul Wamo, écrivain et slameur :
Paul Wamo, Je suis noir (clip)
3) le vivre-ensemble, ou ''destin commun'' comme stipulé dans l'Accord de Nouméa, un entretien que j'ai trouvé intéressant et que je vous recommande d'écouter :
4) pour rêver un peu (cliquer sur ''galerie'') :
Hôtel Sheraton, Goro Deva, quelques photos (marriott.com)
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