J'ai rencontré Moti Kedar
La nouvelle était incroyable, formidable ! Que dis-je, sensationnelle !
Le mardi 18 mars 2025, Mordechaï Kedar allait venir à Beershéva !!!
J'ai réservé ma place avec empressement, vous pensez bien ! Le spécialiste mondial de l'islam et de la mentalité -ou plus exactement des mentalités arabes, se déplaçait jusque chez nous, il était hors de question que je rate ça ! Je ne le connaissais, jusqu'à la semaine dernière, que grâce aux vidéos qui tournent sur le net, et notamment, sur Youtube. La plus fameuse est celle où on le voit sur al-Jazeera tenir tête à un journaliste arabe visiblement gêné, et même, franchement déstabilisé, qui ne parvient pas à l'interrompre : Kédar a réponse à tout, il répond impeccablement et... en arabe.
Par exemple, sur Jérusalem et sur le Coran, le journaliste lui dit qu'il ne peut pas ''effacer Jérusalem du Coran'', et lui enjoint de cesser d'utiliser ''des expressions qui pourrait offenser les arabes et les musulmans''. Sic. Kedar l'écoute placidement et lui répond que Jérusalem n'est pas citée une seule fois dans le Coran. Le journaliste qui l'interroge bredouille une bénédiction, visiblement pris au dépourvu, il n'est pas au courant de la chose, (c'est quand même, énorme, non, cette ignorance, venant, de plus, d'un journaliste ?) et il s'empresse de proposer de passer à la politique, sans transition, mais Kedar continue sur sa lancée, qu'il termine par cette phrase improbable : ''Attention, vous ne pouvez pas réécrire le Coran, sur al-Jazeera ! ''
Si vous voulez rigoler et passer un bon moment, regardez cette vidéo. Elle n'est pas longue, à peine cinq minutes. Mais elle vaut, comme dit l'autre, son pesant de cacahuètes. Un moment d'anthologie.(1)
Depuis ce qui est arrivé le 7 octobre, le docteur Mordechai Kedar partage avec nous ses analyses, se filmant face caméra et parlant comme s'il donnait un cours à Bar Ilan. (Il est prof de littérature arabe) Sa dernière intervention date d'il y a deux semaines, et le sujet, passionnant s'il en est, traite de la source de l'échec du shin bet, le 7 octobre. (2)
La conférence était fixée à 19h, j'étais arrivée un peu en avance dans l'espoir de pouvoir interviewer le grand homme et retranscrire notre conversation pour les lecteurs de mon blog. Fébrile et un peu inquiète de ne pas être à la hauteur, je révisais mes notes et les questions que j'avais préparées, j'étais partie à sa recherche, quand la sirène d'alerte força ceux qui étaient déjà là à se lever et à quitter le jardin. Evidemment nous étions trop nombreux pour pouvoir entrer tous dans le mamad, la pièce sécurisée dans laquelle on se réfugie pendant les bombardements. Tout le monde était au courant, le missile qui nous menaçait était tiré depuis le Yemen. Les Houtis. Comme on dit, ici :
החיים שלי תותים
(3) עד שבאהו החותיס
Après l'alerte, on est tous retournés dans le jardin et je l'ai finalement trouvé devant la table des boissons, en train de boire un café. Je lui ai dit bonsoir et nous avons commencé à parler de sa venue et du sujet de sa conférence.
C'est vraiment intimidant de se retrouver en face d'une pointure pareille et d'avoir à lui dire, avec mon pauvre hébreu, combien j'apprécie son travail, et combien je trouve précieux ses conseils et ses analyses, que je l'écoute depuis longtemps sur Youtube et que je suis une grande fan. Une grande fan, mais n'importe quoi ma pauvre fille, me disais-je intérieurement. Mais comment parler de cette admiration pour le bonhomme, ce guerrier infatigable, tellement dévoué à la cause de son pays, qu'il défend si brillamment jusque chez les arabes de partout, à qui il damne le pion et dans leur propre langue, encore ? Fan, ça va plus vite.
L'homme est discret, un fin sourire flottant sur son visage mince, il m'écoute, les yeux à demi-fermés, lui dire tout le bien que je pense de sa solution, organiser des clans et des tribus, à la place de l'état palestinien, dont de toute façon personne ne veut, et que les Occidentaux sont les seuls à réclamer. Le seul hic, à mon avis, et je le lui dis tout de go, est qu'il veuille établir ces clans en Judée-Samarie : pourquoi les laisser là, alors qu'ils ont 57 pays islamiques pour vivre dans ces fameux clans et ces fameuses tribus ?
- Et comment tu fais sortir deux millions de gens de là-bas ? Avec un treuil ? me répond-il, goguenard.
On n'a pas eu le temps de poursuivre, Ana, notre hôtesse, est arrivée, elle venait voir si tout le monde était installé, si on pouvait commencer. Elle nous a présentés, lui confiant que j'avais un blog en français et que je voulais pouvoir lui poser quelques questions après la conférence. Il a dit d'accord, et puis le gars de Im Tirtsou est venu dire quelques mots et parler de l'association (4) et puis, très rapidement, a laissé le micro à Kedar.
Il a parlé debout, pendant deux heures, pratiquement. Il a commencé en parlant du monde arabe, qu'il connait par cœur, tellement complexe, tellement divers, un monde que les Américains ne comprennent pas. De la Syrie, des massacres horribles commis ces derniers jours, de l'Iran, du Liban et du Hezbollah, de l'Irak, où les gens passent leur temps à se massacrer. What's wrong with these people, qu'est-ce qui ne va pas chez eux ? Qu'est-ce qu'ils ont dans la tête qui coince ? entend-il souvent quand il va aux USA.
Les Américains ne comprennent rien au Moyen-Orient mais malheureusement les Israéliens non plus, a t-il affirmé. Et c'est l'une des raisons qui expliquent l'échec terrible du 7 octobre. Les seuls qui comprennent ce sont ceux qui ont étudié le Moyen-Orient, qui y ont consacré du temps, et il n'y en a pas lourd. Il fait partie de ceux-là. Il a expliqué qu'il vient d'une famille polonaise, que chez lui on parlait le yiddish. Qu'il a appris l'arabe en cinquième, qu'il est possible d'étudier et que lui, c'est ce qu'il fait depuis plus de 60 ans. L'arabe n'est pas qu'une langue, c'est aussi une culture. Une mentalité. Les rapports humains, dans le monde entier, sont affaire de cultures, de conventions. D'us et coutumes.
Une différence essentielle, selon lui, c'est la différence entre le mode de vie occidental, qui est plutôt individualiste, et la vie collective dans les pays arabes, au Moyen Orient, où tout le monde s'occupe de tout le monde, où la vie est familiale, clanique. Où l'on s'occupe des enfants des autres si quelqu'un est malade, où l'on paie collectivement une amende reçue par un membre de la collectivité. Où le désert depuis les origines occupe la majeure partie des terres. Où l'eau est la ressource principale pour laquelle on se bat pour survivre. Où l'on voir l'autre comme un ennemi, un rival en tout cas, pour l'eau, ressource vitale.
Son exposé a été passionnant est très complet, vivant, captivant même. Moti Kedar est un conteur, un griot africain réincarné en Israël... Il a parlé sans notes. Visiblement, il avait un plan dans sa tête, un plan classique en trois parties, du style conditions, moyens, conséquences : les conditions, c'est le mode de vie et la mentalités (les mentalités) des gens au Moyen-Orient, à l'opposé de ceux des Occidentaux. Les moyens, c'est l'abandon de la fameuse ''solution à deux Etats'' dont il montre l'origine, c'est à dire la mentalité occidentale qui a inventé les Etats-Nations et qui ne convient pas, mais alors, pas du tout, aux réalités du terrain. Il explique une solution alternative, sa solution des Emirats, à établir parmi nous ici en Israël. Et les conséquences, c'est la paix pour Israël et le monde arabe, et la fin de la chimère palestiniste.
Il a exposé longuement les différences de cultures et de mentalités, insistant sur le comportement et les coutumes, par exemple la façon de s'asseoir, au Japon, qui vous catégorise irrémédiablement, il a raconté les Bédouins dans le désert dont la mentalité est de s'approprier l'eau, même si c'est celle d'un arbre et que l'arbre en meurt. Pour nous expliquer le clash entre Orient et Occident, il est remonté jusqu'aux conquêtes napoléoniennes, aux armes françaises bien plus modernes et perfectionnées que celles des Ottomans, vu leur maîtrise de la métallurgie, il a parlé architecture et transports, systèmes d'irrigation, et même, d'opéra ! Des femmes qui chantent sur scène, devant des hommes, des façons incompréhensibles, et même, scandaleuses, pour la mentalité arabe. Bref, il a fait le tour des inventions des Européens. De la modernité, du modernisme, bref, de ce qu'on appelle en Occident le Progrès. C'est Napoléon qui a imposé l'imprimerie, une invention du diable selon les arabes, à cause des caractères d'imprimerie, tellement différents de l'écriture cursive. C'était le diable, ces machines à imprimer, et une fatwa fut édictée, quiconque ne ferait ne serait-ce que regarder la machine à imprimer, serait décapité : Napoléon fut surpris de voir que nul ne semblait s'intéresser à la machine qu'il avait apportée avec lui. Il ignorait la fatwa. En réalité, explique Kedar, les livres autorisés à circuler étaient l'oeuvre de copistes, et le pouvoir avait institué un monopole sur les documents, de façon à garder le contrôle sur ce que les gens étaient autorisés à lire... Classique. Mais Napoléon, raconte encore Kedar, a toutefois réussi à imposer l'imprimerie aux Turcs en en faisant la démonstration, tu vois, là on met les caractères en métal, là l'encre, là, le papier, ce n'est pas de la sorcellerie c'est... le Progrès !
Kedar a énormément insisté sur le Progressisme et la Modernité, qui sont, pour le monde arabe qu'on qualifie peut-être trop vite d' arriéré, des traumatismes dont il n'est pas encore sorti. Certes, sa conception d'une future organisation de la société arabe ici en Israël est infiniment plus respectueuse des mentalités qu'il décrit : en gros, les arabes, qu'ils soient chrétiens, musulmans, druzes, bédouins, etc... ont toujours eu un fonctionnement tribal. Ils vivent en clans. Leur société doit donc être clanique, pas nationale : ce n'est pas un pays qu'il leur faut, ni un Etat. Mais un espace pour vivre en clans.
Pourtant, la solution de Kedar ne résoud pas tout : elle fait étrangement abstraction de la haine que ces gens nous vouent. Je ne parle pas des arabes en général, ni des druzes, qui sont loyaux et plutôt sympas, j'en ai rencontré plein dans le Golan et dans la région du mont Hermon, ils ne sont pas du tout haineux, mais plutôt curieux, ouverts, hospitaliers. Je ne connais pas d'arabes chrétiens donc je m'abstiens. Sur les Bédouins, nombreux à Beershéva et dans les environs, je suis plus mitigée, je ne connais pas bien leur culture, étant une Juive, une Française, et maintenant aussi une Israélienne. Une chose me les a immédiatement rendus sympathiques, c'est leur réticence à aller se faire vacciner, pendant la crise covid. Résistance -une de plus- à la modernité ? Simple bon sens paysan ? ou plutôt bon sens bédouin, qui sait bien que la santé, comme beaucoup d'autres choses, ne vient pas du dehors via une aiguille, mais du dedans ?
Donc, la haine du Juif, inscrite dans le Coran, est à mon avis un obstacle difficile à contourner. Parler de déradicalisation, cela sert-il à quelque chose, tant que ces gens ont l'islam et seulement l'islam, comme mode d'emploi de la vie en société ?
Nous sommes des Koffrim comme dit Kedar. Juifs, chrétiens, athées, tous des Koffrim, tous des Infidèles. Les Infidèles, en Islam, on doit les tuer, ou régner sur eux. Le statut de dhimmi a été créé pour eux. C'est un statut inférieur sous lequel les Juifs ont vécu dans les pays dits arabes. Les Juifs d'Irak, d'Iran, d'Egypte, etc. sont à présent Israéliens et ne veulent pas retourner à la terrible condition de dhimmis, cette sous-caste d'intouchables, de maudits, condamnés à verser l'impôt supplémentaire et à marcher au bas du pavé, là où passent les égouts lorsqu'ils croisent un musulman. A être frappés symboliquement en public, une fois l'an. Par un musulman.
Et donc la critique qu'il est possible de faire à Kedar, à mon avis, c'est que sa solution fait abstraction de l'islam pour ne prendre en compte que l'organisation sociale, qui doit être selon lui, clanique.
Gaza est finie, terminée. Elle sera vraisemblablement annexée par Israël dans les prochaines semaines. Reste la Judée-Samarie, que l'Immonde, I24 et le reste des médias, la BBC en tête, comme de juste, appellent "Cisjordanie", en anglais, "West Bank". Pour tâcher d'arracher, au moins en paroles, au minuscule Israël sa région d'origine, le lieu de sa naissance, le berceau historique de sa civilisation millénaire. Mais après les paroles viennent les actes...
Reste donc cette région que nous Israéliens appelons le Yosh. Contraction de Yéhouda vé Shomron, en français Judée-Samarie. La plus belle région d'Israël selon moi, avec la Haute-Galilée. Dans laquelle il faudrait conserver cette ébauche d'Etat palestinien, en l'organisant en tribus, en clans... en Emirats.
La solution des Emirats
Selon Kedar, cette solution est la seule qui permette la paix dans la région. Il l'a expliquée en hébreu, en arabe, et aussi en anglais : détail cruel, c'était le 6 octobre 2023. (5)
Mais monsieur Kedar, si disert, si fin connaisseur du monde arabe qu'il soit, fait preuve, étrangement, d'une naïveté surprenante. Il a éludé la remarque d'une dame dans le public, qui répondait ''l'islam'' à la question des Américains ''What's wrong with these people ? '' en répondant, un peu sèchement m'a t-il semblé, que l'islam n'était pas le seul en cause. D'accord. Les arabes sont malheureux, frustrés, et passent leur temps à s'entretuer, dans leurs pays respectifs tout comme ici en Israël, parce que justement ils ont été colonisés et se sont vu imposer des structures étatiques, à la mode occidentale, plaquées artificiellement, qui ne leur correspondent pas du tout, et qui ne respectent pas leur mode de vie, à l'origine, tribal et familial. Clanique. Laissons-les s'organiser en sociétés claniques, laissons-les fonder quelques Emirats, et tout s'arrangera.
Y croit-il vraiment ? Une société clanique en Judée-Samarie ne sera pas purgée pour autant de ses pulsions meurtrières contre nous, encouragées de surcroît par leur Livre saint qui les autorise, voire, les recommande. Garder chez nous des clans jihadistes ? Des tribus de fous-furieux pratiquant chaque jour que Dieu fait l'attentat à la voiture bélier ? Merci bien, mais non. Moi, je fais partie de ceux, nombreux je crois, qui estiment qu'en l'état actuel des choses, ces gens devront partir. Les attentats, quotidiens, commis la plupart du temps par des arabes israéliens, c'est à dire par des individus possédant la carte d'identité bleue, la ''téoudat zéout'' israélienne, le prouvent. Mais en attendant, la guerre n'est pas encore gagnée, les alertes continuent, les combats se mènent partout en Judée-Samarie, en Syrie, au Liban. C'est dommage, nous n'avons pas eu le temps d'évoquer le plan Trump pour Gaza. Mais je crois que j'ai ma réponse, Kedar l'a dit, au début de la conf : les Américains ne comprennent rien au Moyen-Orient...
Catherine Stora
Notes
(1) Dr M.Kedar sur Al-Jazeera (juin 2008)
(2) https://www.youtube.com/watch?v=BAAjpTQwu7w&t=371s
(3) ''Ahayim sheli toutim / ad ché baou haoutim" (mot à mot : ma vie c'était des fraises jusqu'à ce que viennent les Houtis)
(4) Im Tirtsou, ''si vous voulez'' (ce ne sera pas une légende) Mouvement sioniste créé en 2006 pour lutter contre les organisations post-sionistes en Israël, comme le New Israël Fund, et la délégitimisation d'Israël dans le monde.
5 The only solution, M.Kedar, 6 octobre 2023
Admirable. Je reconnais bien là ta plume. J'avais écouté (il y a assez longtemps) M Kédar en le prenant au sérieux dans un premier temps. Il comprend les Arabes et l'arabe, mais il termine en queue de poisson qu'il noie avec brio en beau parleur qu'il est.
RépondreSupprimerJ'avais aussi à une certaine époque écouté Yossi Sarid, dont les opinions étaient tellement grotesques que j'avais été curieux d'en comprendre les mécanismes. Après son axiome qui voulait que la grande majorité d'entre eux appréciaient énormément leur vie au milieu de nous, démenti par la mise en pratique des accords de Gaza et Jéricho d'abord, sa conclusion fut que vu que nous sommes civilisés, nous ne pouvons pas agir comme eux, pas même en les faisant déménager vers des contrées lointaines.
Quelle différence y a-t-il entre Kédar et Shimon Pérès?
Aucune, tous deux partent de la résignation qui nous empêche de les voir partir de chez nous.
Ein Bréra, on n'a pas le choix, disait Shimon Pérès quand on commença à lui reprocher les résultats de sa politique.
Nations ou clans, aucune différence. Ou alors, si j'ai bien compris où veut en venir l'analyste, les chefs de clans sont davantage respectés que les chefs politiques de modèle occidental courant, de sorte que si on parvient à se mettre d'accord avec le Moukhtar, alors ses administrés se tiendront à carreau. C'est pas gagné.
Oui, je crois que tu as saisi l'idée... Et comme tu dis, c'est pas gagné !
SupprimerEn réalité, mais ne le dis à personne, c'est un gaucho.
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