Israël : de la cabane au bunker

La fête des Cabanes (en hébreu, Soukkot) dure huit jours et vendredi, c'était la fin de la fête. C'était aussi le cinquantième anniversaire de la guerre de Kippour, selon le calendrier chrétien. Les salopards du Hamas ont bien choisi leur date et ces fils deup  et cette fois encore, avec le courage qui les caractérise, ils ont lancé une attaque-surprise un jour de fête : le jour de Simhat Torah, Oshana raba, est le dernier jour de la fête de Soukkot et il tombait vendredi soir à l'entrée de Shabbat. Nous avons célébré Oshana Raba jusque tard dans la nuit par des chants, des danses, et des banquets.

Les premières sonneries d'alarme se sont déclenchées à deux heures du matin. A Ashkelon et tout autour de la bande de Gaza, les gens qui venaient d'aller se coucher ont été réveillés par la sirène. A Jérusalem, il était huit heures du matin quand j'ai entendu le hurlement lugubre. C'était Shabbat, le jour de la grasse matinée... Tu parles d'une grasse matinée ! Deux mille roquettes de tirées en quelques heures, cinq mille à la fin de la journée. Le système Dôme de fer largement dépassé, des incendies, des massacres, des prises d'otages, bref, le pays est, encore une fois, à feu et à sang. Sérieusement. L'horreur.

On continue à se demander d'ailleurs comment une attaque d'une telle ampleur a pu s'organiser sans que le shabak n'en sache rien ! D'ailleurs il était parfaitement au courant, vu que le Hamas avait pris la peine d'envoyer au gouvernement une vidéo donnant le détail de ce qu'ils comptaient faire, et ce, une semaine à l'avance.

Tous ces gens ont pu agir comme ils l'avaient annoncé, sortir de Gaza, par la mer, en zodiaques, par le ciel, en ULM et en parapente, et franchir à pied les barbelés de la clôture de sécurité sans que l'alarme ne sonne... C'est bizarre, d'ailleurs, ça, ce genre d'alarme est ultra sensible, il suffit d'une demi-crotte de mouche dessus pour la déclencher, et les secours arrivent en trois minutes !

Or là, nada, kloum, ces types arrivent avec un tracteur, franchissent la frontière en beuglant allaoua que barre sans être repérés ni par le système de sécurité, nulle part,  ni par les caméras de surveillance, des caméras à ultra-haute technologie à infra-rouge et reconnaissance faciale soit dit en passant, et ils ont le temps d'entrer par centaines, d'attaquer une base de l'armée, d'y entrer et d'y tuer tous les soldats ?

Je sais pas vous, mais moi ça ne me rentre pas dans la tête. Tuer tous les soldats de la base, voler une jeep, et même un char, envahir toutes les localités voisines, de Nétivot jusqu'à Beeri et de Sdérot jusqu'à Ofakim, qui se trouve au nord de Beershéva, à un quart d'heure de voiture, retenir les gens chez eux de force, dans leurs maisons et leurs kibboutz, prendre des gens en otages, civils et soldats, on parle d'un nombre hallucinant de gens enlevés, entre 11 selon la police et 163 selon les terroristes islamistes. Sans compter les disparus. Et tout ça, peinard Bernard, tranquille Bill, sans que personne ne puisse intervenir ?

Vous me direz si, on a bien tenté d'intervenir, sûrement, mais c'était trop tard. Beaucoup de morts hélas, tout de suite, dont Ofir Libstein, qui était le chef du Kibboutz Shaar haNeguev, assassiné alors qu'il tentait de défendre les siens.

Je me suis dit bon, ils attaquent, tant pis pour eux, voilà une occasion en or d'en finir avec Gaza, ça fait trop longtemps que ça traîne, on va enfin pouvoir raser ce nid de scorpions. Mais ça, c'était avant de savoir qu'il y avait autant d'otages... Et s'il s'en servaient de boucliers humains ? Comme ils font avec leur propre population ?

Après je me suis dit chouette, demain, pas d'école. Comme une gamine. Effectivement aujourd'hui pas d'école et donc je travaille pas, mais comme je suis free-lance, je l'ai dans le baba une fois de plus. Comme en 2020 et 21, confinement égale pas de boulot : pas de bras, pas d'chocolat. 

De toute façon, impossible de retourner à Beershéva aujourd'hui dimanche, toutes les routes sont bloquées. L'armée a lancé une opération baptisée Epées de fer, la plupart des habitants du sud sont toujours consignés chez eux. Hier, rappel des réservistes dès 8h30 du matin, et aujourd'hui, les soldats sont stationnés devant Gaza depuis 11h.

Va t-on leur demander d'entrer ?

La dernière fois qu'un chef d'état major a eu l'idée géniale de faire rentrer des soldats dans ce repaire de bêtes féroces qu'est Gaza c'était en 2014 au mois de juillet, et l'opération s'est soldée par un échec retentissant. Elle a traîné en longueur, ne nous a rien rapporté à part un cessez-le-feu piteux le 26 août. Une opération décidée par Benny Gantz, j'dis ça j'dis rien, au cours de laquelle nous avons perdu 87 soldats. Tous âgés de 19 et 20 ans, originaires de moshavs et de kibboutzs, un vrai crève-coeur.

Bref, nous voilà à essayer de retenter l'aventure de l'opération terrestre à Gaza, j'espère que le matériel est meilleur qu'il y a 9 ans, parce qu'en 2014 les tanks c'était pas un cadeau, un soir l'un d'entre eux, touché par une mine anti-char, avait explosé, causant la mort de 13 jeunes gens, filles et garçons. J'en pleure des larmes de sang.

Alors que tous ces morts, ces blessés, tous ces gens traumatisés, sans compter les otages, (parmi lesquels il y a des enfants, et même, des tout-petits) auraient pu nous être évités si les menaces du Hamas avaient été prises au sérieux. Mais le Shabak et le Shin Bet savent mieux que personne que le Hamas est composé d'aimables plaisantantins qui adorent les farces.

C'est drôle, quand même, c'est tombé à peu près en même temps : au moment même où le Hamas envoyait sa vidéo au gouvernement, il y a eu une réunion du cabinet ministériel portant sur la sécurité. Coincidence ? Réunion de laquelle Itamar Ben Gvir a été exclu. Au prétexte qu'il s'agissait de l'Iran, et non de sécurité intérieure, domaine de compétence du Ministre de la Sécurité intérieure. Comme si l'Iran n'arrosait pas le terrorisme ici à coups de milliards, comme si cet argent ne servait pas à fabriquer les armes avec lesquelles on nous tue à tous les carrefours, et les roquettes qu'on nous balance depuis toutes ces années sur le coin de la figure.

Il est permis de se demander si le contenu de la vidéo du Hamas a été évoqué durant cette réunion sécuritaire, et si le ministre de la Sécurité Intérieure n'aurait pas été mis sur la touche à cause de son étrange propension à proposer des solutions qualifiées de radicales. On se doute du genre de solutions qu'Itamar Ben Gvir aurait proposées, le bouclage des territoires dits ''palestiniens'', la fin de l'octroi automatique de permis de travail pour les travailleurs dits ''palestiniens'', la démolition des constructions illégales dans le désert du Néguev, aux alentours de Beershéva ? Des opérations dissuasives sur Gaza ? Des assassinats ciblés de chefs du Hamas du Hezbollah et du Jihad islamique ? On ne le saura jamais, vu que maintenant c'est trop tard, le mal est fait, nous avons 700 morts et pratiquement 2000 blessés. La communauté internationale est sûrement satisfaite, à présent, elle qui trouvait qu'on ne mourait pas assez du côté israélien pendant les précédents affrontements avec le Hamas.

 -''Anahnou bé milhama !'' ...''nous sommes en guerre !''. Bibi, Micron, les mêmes paroles, exactement. La guerre est un excellent remède à la crise, qu'elle soit économique ou politique. Elle permet de faire circuler l'argent, d'investir, et de mater le peuple. De le contrôler, de le manipuler, en y mettant les moyens, on peut lui faire croire ce que l'on veut... Le peuple, à qui on tue les enfants, à qui on détruit la maison, la bagnole, à qui on prend toutes les économies pour reconstruire ce qui a été détruit, ba voyons, c'est pour le bien du pays que l'Etat pioche dans la poche du contribuable. Le peuple, il a bon coeur, et si c'est pour le bien du pays, alors...

Le problème est que le peuple, il a voté nombreux pour Itamar Ben Gvir, qui a été élu, et que l'on exclue des réunions sécuritaires, à cause de ses solutions ''extrémistes'' ! C'est quand même ahurissant que ce même ministre, pour lequel j'ai d'ailleurs personnellement voté, se soit prononcé contre l'envoi d'un millier de travailleurs palestiniens originaires de Gaza devant venir travailler en Israël et qu'on n'ait pas voulu tenir compte de son opinion, au gouvernement !

Micron, Bibi... Pour qui roulent-ils ? Contre qui ces gens sont-ils en guerre ? 

Ce serait-y pas contre le peuple ? Des fois ?

Allez messieurs-dames, faut donner, téléthon, télékon... A vot' bon coeur ! Mais revoilà la sirène, allez, courez vite à l'abri, quinze secondes, c'est vite passé !

... A vot' bunker, m'ssieurs-dames !

Jérusalem, 23ème jour de Tichri 5784, dimanche 8 octobre 2023