La vie quotidienne se complique

La vie quotidienne se complique. 

Aujourd'hui, dimanche 29 mai, il m'est arrivé une chose étrange, je suis allée à la poste ce matin pour m'aquitter d'une facture, un reliquat d'arnona. (L'arnona est un impôt très important ici en Israël, c'est une taxe perçue par la mairie, un impôt municipal, qui correspond je pense en France à la taxe d'habitation. Elle est calculée en fonction de l'endroit où l'on habite, la shrouna, le quartier, et le type d'appartement ou de maison.)
Je m'étais rendue le matin même dans les locaux de l'Administration, en Vieille Ville. Jusque là, rien que de très banal. J'y étais allée pour vérifier où j'en étais par rapport à la dette que j'avais contractée depuis presque deux ans, quand j'ai quitté mon ancien appart. J'ai demandé une anaha, une réduction, car c'est très cher. Il leur faut toujours des tas de papelards, des justificatifs, un avis d'imposition, le nouveau bail, il y a des tas de pièces à fournir, et justement je ne pouvais pas les leur fournir, n'étant pas autorisée à entrer vu que je n'avais pas de tav yarok. Seuls les gens vaccinés ou ceux qui acceptent de faire des tests prouvant qu'ils sont négatifs étaient autorisés à pénétrer dans les locaux sur présentation de leur portable. Pour éviter d'avoir des problèmes avec les huissiers, les employés du Milgam, qui sont des gens  sans pitié qui peuvent débarquer un matin pour faire la liste de tout ce qu'ils peuvent saisir comme mobilier chez vous, et vous saisir, si vous ne payez pas, sans état d'âme. (C'est comme l'otsaa poal, l'organisme gouvernemental de recouvrements. Ils vous piqueraient votre dernière chemise. D'où leur nom, ôte ça, à poil.) Pour éviter ce genre de désagréments,  j'avais effectué des versements réguliers, ces derniers mois, au huitième étage du Kanion hanegev, où une secrétaire avait reçu des paiements en espèces, en me laissant dans le couloir, car là non plus je n'avais pas le droit d'entrer, étant non vaccinée, sans tav yarok, et refusant de porter le masque réglementaire. Nous communiquions par téléphone, la secrétaire et moi, tout en nous voyant, elle à son bureau et moi assise dans l'entrée. Un rituel que nous avons répété mois après mois, j'arrivais, le shomer me demandait le tav yarok, j'en avais pas, puis de mettre le masque, je déclinais l'invitation en disant que j'avais un ptor, une dispense médicale. Ensuite il me refusait l'entrée, me demandait d'écrire mon téléphone et mon numéro de téoudat zéout sur un bout de papier qu'il me tendait, je m'exécutais, il allait le porter à la secrétaire qui me téléphonait aussitôt, me demandait le montant de mon versement, pianotait sur son ordi, établissait une facture, après quoi le shomer récupérait les sous et allait les lui porter, et  revenait avec la facture aquittée. Une scène que Kafka  aurait appréciée à sa juste valeur.
Bref, il est ressorti de mon rendez-vous en Vieille Ville que j'avais un reliquat datant de plusieurs années, datant de quand j'avais quitté mon ancien appart, et que je pensais avoir réglé. Mais apparemment il restait quelque chose à payer, augmenté de frais, comme à la banque. Je passe sur le fait que ces frais représentaient les trois quarts du montant qu'on me réclamait. J'avais donc deux factures à payer, une petite et une grosse, et j'ai décidé me me débarrasser d'abord de la plus petite, la plus ancienne.'' De deux maux il faut choisir le moindre'', dit la sagesse populaire. La secrétaire m'a préparé la facture, payable à la poste. A lui ramener le plus vite possible. Alors j'allais y aller illico presto. Qui paie ses dettes s'enrichit, et il est bien temps.
Bref, après un autre rendez-vous près de la mairie, je décide de faire un saut à la poste centrale. Aïe mes amis, quel saut... Je me disais que peut-être ce serait possible. Mais une fois entrée, impossible d'obtenir un ticket d'attente, toujours le même cirque, il faut commander à l'avance par internet ou par téléphone.
Je trouve ça horripilant d'avoir à en passer par là, je suis à la poste, je devrais pouvoir être reçue. Mais depuis le covid il y a de nouvelles dispositions. Et même si le covid est fini les nouvelles dispositions sont toujours en place. J'avais tourné cette vidéo l'année dernière, en mars, la première fois que je m'étais retrouvée à la poste avec les nouvelles mesures anti-covid :

Un type qui vient de partir muni de son ticket se retourne. Me voyant dépitée, et tapoter rageusement sur l'écran du pauvre appareil qui n'y était pour rien, il me demande s'il peut m'aider. J'accepte, on refait la manip et là on tombe sur une rubrique, ''accès immédiat au guichet pour les personnes de 70 ans''. Une nouvelle disposition qui n'existait pas l'année dernière. Il me demande mon âge, secoue la tête, et me dit ''non, tu as soixante-dix ans !'' Je me marre, mais il m'imprime le ticket, me le tend et me dit ''tu as 70 ans et tu es malade, et tu as mal aux pieds, tu as mal partout, allez ! Bonne chance, et rak briout !''
Je lui dis merci, et je prends le ticket en me disant après tout, c'est un ticket. J'ai un numéro d'attente, je tente, on verra bien. J'attends, en compagnie d'une voilée intégrale qui se tord le cou pour voir mon numéro. Finalement c'est à elle. J'attend encore un bon quart d'heure, et finalement mon tour arrive. Mais la nana au guichet me jette un coup d'oeil réprobateur, et me demande ma teoudat nerès, ma carte de vieux.
Je lui ai tendu ma téoudat zéout mais ce n'était pas ce qu'elle voulait. Elle a secoué la tête et a catégoriquement refusé de me recevoir. J'ai eu beau lui tendre l'argent et la facture, ''tassi li tova, c'est l'affaire de trois minutes'', elle refuse derechef. Je commence à m'énerver. 
- Qu'est-ce que ça peut faire, ça prend trois minutes, ça fait un quart d'heure que j'attends, c'est bon, ça commence à bien faire. Je veux voir le directeur ! que je lui fais. Elle me répond, placide, ''il te dira la même chose''.
- Mais enfin ça te coûte quoi de me recevoir ? C'est juste une facture à payer!  ça prend trois minutes ! 
Rien à faire, la donzelle n'en démord pas, zé lo oler cara, ça marche pas comme ça. Une psycho-rigide. Le règlement c'est le règlement. Je lui dis que si elle veut jouer au con, on est deux. Et qu'elle est pas sûre de gagner.
- Je ne bougerai pas de là ! La Poste est un service public, vous êtes là à mon service. Vous êtes payés pour rendre service. Y'en a marre, le covid c'est fini, y'a pas de raison. 
Les autres employés rappliquent pour soutenir leur collègue. C'est beau la solidarité.
Je lui dis en face qu'elle est payée pour être à mon service, pas pour me compliquer la vie. Du coup elle décide de fermer son guichet.
J'insiste pour voir le directeur. Finalement c'est une directrice. Elle m'explique qu'il faut réserver par internet maintenant à la Poste. Oui merci, je sais. Je lui dis que je n'ai pas internet. Elle lève un sourcil devant cette incongruïté. Et répond que je peux téléphoner, c'est le 171. Je prends note. Et lui réponds que je suis là maintenant. Que je ne vais pas rentrer chez moi pour prendre rendez-vous à la poste, puisque j'y suis déjà.
C'est fou comme l'absurde de la situation a l'air de lui échapper.
Elle me dit qu'il y a des gens qui attendent, des gens qui ont réservé par internet et qui attendent depuis une heure et demi. Que ce n'est pas juste vis-à -vis d'eux. Je lui dis que ce n'est pas mon problème s'il y a du monde, il y a toujours du monde à la poste. En fait non, le dimanche, c'est pire. C'est le jour le plus chargé, les gens viennent chercher leur argent. Je lui dis que c'est urgent, que j'ai une facture à payer et que normalement je devrais pouvoir le faire, sans avoir à prendre de rendez-vous.
Elle contre-attaque : si j'étais à l'arnona, pourquoi je suis pas allée à la petite poste en face ?
C'est vrai, il y a une petite poste en face de l'arnona, mais entre-temps j'ai eu un autre rendez-vous près de la Poste centrale.
- Pourquoi, à la petite poste on peut rentrer normalement ?
Non, non, c'est partout, les nouvelles dispositions, qu'elle me fait. Il faut réserver sur le site, ou sur l'application, ou téléphoner pour prendre rendez-vous. Et elle ajoute qu'à sa banque, c'est comme ça aussi. Qu'on ne peut plus aller voir son banquier sans avoir pris rendez-vous.
Je lui réponds que dans la mienne, pareil, mais que les banques font ce qu'elles veulent, ce sont des entreprises privées. Alors que la poste, c'est un service public. En fait j'ai compris, ils ont profité du covid pour privatiser le service public. Même les horaires ont changé. Avant on pouvait aller à la poste jusqu'à 20h, le dimanche, le mardi et le jeudi. Maintenant, c'est maximum jusqu'à 18h.
- En fait, ces nouvelles dispositions, elles vous arrangent à vous. Pas à nous. Nous, ça nous complique la vie. ''
Elle fait la grimace. Touché !

Entre temps, elle m'a dit d'attendre, qu'elle allait servir ce monsieur, qui avait révervé par internet, et s'occuper de moi après. Alors j'attends. Elle finit par me recevoir, ça lui prend 15 secondes de prendre les espèces et de me rendre la facture acquittée. C'était bien la peine de faire tant de difficultés.
- En fait vous n'êtes plus à notre service, mais au service du système. Tout s'informatise, se numérise, se deshumanise. Elle en convient. Mais elle n'y peut rien. C'est partout comme ça maintenant. On supprime les petites agences, dans les banques, on supprime du personnel et les gens doivent s'arranger sur whatsapp, avec un robot qui répond à leurs questions. Dans le bus, ils ont supprimé les appareils à sous qui permettaient d'acheter un ticket avec des pièces. Maintenant c'est le rav-kav, la carte informatisée qu'on passe dans le dispositif, ou le paiement par portable, ou encore par QRcode... C'est comme ça, rapetipeta petipapetibus, si t'es pas content tu prends plus l'autobus...

On peut encore aller à la poste sans réserver son tour à l'avance, en France ? Profitez-en, ça risque de pas durer.

Le monde ferme. Descendez on vous demande. Le monde roule toujours, mais pas pour vous. Le monde moderne vous supporte, à la rigueur. Mais la vie quotidienne est de plus en plus compliquée. D'autres vous diront qu'au contraire elle se simplifie, qu'on peut payer en trois clics avec une carte au lieu d'aller à la poste. Que c'est pas si grave d'avoir à réserver par internet pour aller poster une lettre ou un colis. Payer une facture ou envoyer des sous à quelqu'un. Que c'est le progrès et qu'il faut l'accepter. Mais moi je vois arriver le moment où le monde entier sera un club select pour quelques membres fortunés, pendant que le reste du troupeau discipliné, QRcodé et dûment picousé à intervalles réguliers sera réduit en esclavage, que l'air qu'il respire lui sera facturé, et que ces grands couillons répondront que c'est normal, que tout se paie et que c'est le progrès, qu'il faut l'accepter. 

Ce sera bientôt l'enfer climatisé sur terre. Vous êtes prévenus. Bonne journée ! 

Commentaires

  1. Tout cela est très triste et inquiétant. La société numérique qu'on nous prépare, contrôle facial et flicage à la chinoise, mais qu'elle horreur. Et tu n'auras plus payer à la poste, car ils vont supprimer le liquide.

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    1. Triste, inquiétant, et... insupportable. Nous devons faire tout notre possible pour résister. Jeter nos portables et nos cartes bancaires s'il le faut, et acheter un tél fixe. Tout payer en liquide. Avec des pièces jaunes, à la poste, pour bien leur montrer que nous aussi on sait jouer au con. Mais évidemment, qui est prêt à se passer de son portable ? De sa carte en plastoc pour payer en ligne ou en plusieurs fois ? Que faire pour sauver l'argent liquide, anonyme et intraçable ?

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  2. Voici le dernier lien que j'ai mis en ligne : souvenir du corona. (FB ne marche pas très bien en ce moment).
    http://vu-sous-cet-angle.over-blog.com/2022/11/souvenirs-du/de-la-covid-et-de-la-verte-distinction.html

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