Obstination (bien française)

Cet article a paru pour la première fois sur le blog d'Aschkel, le 10 novembre 2010.

http://lessakele.over-blog.fr/article-la-charrue-avant-l-hebreu-catherine-stora-60698321.html

Je le dédie à tous les volontaires de France et d'ailleurs venus travailler en kibboutz, et à tous ceux qui apprennent actuellement leurs premiers rudiments d'hébreu, en leur souhaitant bon courage.

Obstination (bien française).

 

Il était monté en Eretz Israël sans savoir un mot d'hébreu.

 

Là-bas on parle toutes les langues de la terre, se disait-il. C'est vrai. Ainsi que le français, puisque la population est maintenant constituée de près de 20% de francophones, si l'on en croit les récentes statistiques. Alors en effet, continuait-il, pourquoi s'embêter à apprendre cette langue rébarbative, à l'alphabet si déroutant?

 

A son arrivée au kibboutz on lui avait proposé un oulpan, c'est à dire un stage intensif d'hébreu, avec cours quotidiens, à raison de cinq heures par jour cinq fois par semaine. Gratuit. Il s'y rendit avec les autres nouveaux immigrants mais se découragea au bout d'une semaine. C'est bien connu, les Français ne sont pas forts pour apprendre les langues étrangères et souvent même ils ne font pas l'effort d'apprendre l'anglais, qui est pourtant une langue simple, beaucoup plus simple que le français ou l'allemand, ou le russe... Dérouté par les deux écritures usuelles, la cursive, pour écrire, et l'autre, celle qui est imprimée dans les livres, les conjugaisons des verbes et les centaines de prépositions à apprendre, il jeta l'éponge, rendit ardoise et cahiers, et décida qu'il se débrouillerait. Qu'il ferait sans l'hébreu.

 

Un matin, il quitta donc discrètement la classe, profitant de ce que le prof avait le dos tourné, comme souvent (de fait, j'ai cru remarquer que les profs ont souvent le dos tourné, notamment lorsqu'ils écrivent au tableau) pour s'en aller aux champs.

 

Des âmes charitables l'avertirent qu'il le regretterait un jour ou l'autre, que même un cultivateur se devait de connaître la langue du pays et savoir l'écrire, la lire et la parler, rien n'y fit, il s'obstina dans son refus et rien ne put le persuader de retourner s'asseoir en classe.

 

On l'affecta d'abord au ramassage des légumes. Il monta sur des camions pour y trier les patates, exercice un peu périlleux, car le camion arracheur de pommes de terre roule dans le champ et il s'agit de ne pas perdre l'équilibre, tout en séparant chaque patate de la glaise à laquelle elle est souvent collée, sans compter les cailloux, voire les pierres qui arrivent sur le tapis et qu'il faut jeter par dessus bord...Il ramassa aussi les tournesols, attrapa un tour de reins dès le deuxième jour, cueillit ensuite les citrons et finalement  à peu près tout ce qui pouvait se cueillir dans le kibboutz.

 

Au fil des mois il apprit non seulement à récolter mais aussi à faire pousser ces fameux légumes dont Israël a le secret. Sa spécialité était la tomate, qui n'est pas un légume, mais un fruit comme chacun sait. Chaque jour, levé avant l'aube, il travaillait avec acharnement, labourant, semant, cultivant sans relâche, jusque vers les 13h, (après il fait trop chaud, et puis c'est l'heure de l'apéro) réussissant à force de labeur et de patience à produire des milliers de plants vigoureux de beaux fruits rouges et juteux. Oui, de beaux fruits, la tomate est un fruit, tout le monde le sait et c'est marqué trois lignes au dessus, je regrette.

Au kibboutz, cela finit par se savoir: le Français avait la main verte, et ses tomates étaient les plus belles, les plus rouges, les plus rondes, les plus goûteuses. Si bien que le directeur du kibboutz, devant tant de beauté, et tant d'admirables cageots, le promut au rang de responsable de la production-tomate.

 

Mais voilà, il arriva qu'un jour qu'il s'apprêtait à planter des semis, il confondit les paquets, dans la serre où il opérait, avec une variété de roses rouges dont le nom est très proche en hébreu, à deux lettres près toutefois, lettres qu'il n'avait pas apprises et que par conséquent il ne savait pas. Or ne pas savoir ses lettres peut avoir des conséquences sinon funestes, au moins fort regrettables, comme nous l'allons apprendre. Car notre jeune agriculteur français planta sans s'en douter dix mille roses rouges, au lieu de tomates, et fut bien étonné lorsqu'il vit surgir de terre ces fleurs délicates et gracieuses; les distributeurs, qui attendaient des tomates, encore plus. Ce furent des discussions à n'en plus finir, et la catastrophe ne fut évitée que de justesse, grâce à un copain fleuriste qui se chargea d'écouler les dix mille roses à travers le pays et même au delà.

Au kibboutz, on dut se résigner à manger des salades tomate-concombre sans tomates, pendant des des semaines...A Marseille, et dans toute la Provence, privée de la tomate israélienne, la ratatouille elle-même n'avait plus le même goût...Les Marseillais eux-mêmes n'avaient plus de goût à rien. Ils erraient hagards sur la Canebière, la mine sombre et le regard éteint. Cependant qu'au Centre culturel d'Ariel, qui ouvrait ses portes le lundi 8 novembre de l'année 2010 du calendrier chrétien, rien n'allait plus dans les rangs des manifestants pacifistes et boycotteurs de culture, qui se retrouvaient démunis: point de tomates, point de projectiles à lancer contre les acteurs. Impossible de se procurer une seule tomate dans tout le secteur. Lancer des patates ou des concombres eût fait désordre. Dans l'incapacité de pouvoir manifester leur désapprobation de voir, ô scandale sans nom, des Juifs jouer en Judée, les pacifistes gauchistes israéliens pro-arabes venus de Tel-Aviv faisaient grise mine. De plus, toutes les places ayant été louées, ils durent rester debout pendant tout le spectacle, à leur grand dam. Un très bon spectacle, d'ailleurs, auquel assistait une foule nombreuse, donc, et venue de tout le pays. Consacré à Piaf et quelques autres chanteurs français, intitulé Petite Fleur. Sur scène, une pianiste-accordéoniste coiffée d'un béret blanc, un batteur-percus-sioniste, un contrebassiste, et une chanteuse interprétant avec brio de magnifiques chansons en français, mais aussi en hébreu et en anglais, accompagnée également par un duo de guitaristes, tendance jazz manouche. Aussi un couple de danseurs, tantôt valsant, tantôt rock n'rollant, parfois même tanguant carrément ou pasodoblant avec grâce. Envoûtés par le spectacle, les activistes venus pour tâcher de foutre la pagaille en oublièrent leur juste combat et reprirent même en choeur "Non, rien de rien!" et "Padam, padam, padam". (Ils faillirent d'ailleurs se faire expulser de la salle car quelques uns des acteurs-boycotteurs chantaient horriblement faux.)

 

Aux Etats-Unis, enfin, l'incident diplomatique ne fut évité que de justesse, le ketchup servi avec les frites, au repas de fin d'année des anciens d'Harvard auquel participait l'actuel président de l'Amérique ayant dû être fabriqué avec de la tomate ordinaire. Il avait un drôle de goût.

 

Quand je pense que tout ceci aurait pu être évité si seulement ce Français n'avait pas fait tant d'histoires, et son oulpan comme tout le monde. Pourtant, il avait été prévenu: ne pas parler la langue du pays est un très mauvais calcul, mais voilà, monsieur avait voulu n'en faire qu'à sa tête. 

 

Voilà ce qui arrive quand on s'entête à ne pas écouter les conseils.

 

Moralité: il ne faut pas mettre la charrue avant l'hébreu.



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