La plus belle musique du monde II

L'été est arrivé.

Le matnas avait fermé ses portes, depuis juin. On a continué nos séances, à raison d'une par semaine, le mardi soir. Il a fallu trouver des solutions de remplacement. Tant qu'il a fait beau et chaud, on s'est retrouvés dans des maisons avec jardin, chez les uns, chez les autres. Au mois d'août on a tous pris un mois de vacances, et on a réattaqué en septembre. Mais quand il a commencé à faire froid cet automne, on a dû se réunir dans des maisons, en intérieur... Et puis on a repris les séances par zoom, quand il y a eu le séguer ( la fermeture généralisée) et les interdictions de se réunir à plus d'un certain nombre...

Je n'ai pas voulu porter le masque en extérieur, cet été. Parce qu'il y a des limites, quand même. Des limites à ce qu'on peut me faire faire, des limites à la décence. Des limites à ce qu'on peut décemment me demander. Dehors, c'est d'une stupidité sans bornes, de porter le masque. Sauf que la plupart des gens portaient le masque même dans le jardin. Même pour chanter. Et me lançaient des regards noirs. 

Tant que ce n'était que des regards, je m'en foutais. Décidai que ça me glissait dessus. J'ai commencé à faire celle à qui ça ne fait rien. Je venais, après avoir charrié le matos, le mien, en fait, dame, il faut bien que Timor, notre pianiste, ait un instrument ou quelque chose qui y ressemble... Donc clavier électronique, pédale, pupitre, transfo, plus les pieds... Le descendre, le charger, le décharger, l'installer... Et puis après la répé, même manip, mais dans l'autre sens... Je m'asseyais, optempérais de bonne grâce quand on me demandait de m'écarter, de m'asseoir plus loin... Je chantais, je repartais, sans vraiment chercher à échanger avec les gens comme avant.

Le chef était de plus en plus nerveux. Son angoisse était palpable. Il estimait, un jour que j'avais encore ''oublié'' de me munir d'un masque, que les autres ne m'accepteraient pas sans. Qu'il y aurait un conflit... Le chef a très très peur des conflits. Alors, pas de vagues. Il me fit remonter chercher un masque, ce jour-là. Et moi comme une conne, j'y suis allée... Il était tellement catégorique. Le masque, c'était le précieux sésame pour entrer dans le jardin de Tsila. Selon lui. Je remontai chercher un masque tandis qu'il attendait dans la voiture. Et en arrivant là-bas, j'ai oublié de me le mettre sur la figure, et personne n'a paru le remarquer.

On a continué comme ça quelques semaines, en s'organisant entre nous, en attendant que le matnas daigne réouvrir ses portes. C'était sympa, de chanter en plein air... 

Quand les soirées sont devenues fraiches on a avancé l'horaire de nos réunions, et ça l'a fait. Mais une sorte d'antipathie, de sourde hostilité, a continué à se manifester, certains choristes désapprouvant ouvertement ma désinvolture concernant le port du masque. Je me souviens de cette Américaine, alto, comme moi, m'accueillant l'autre jour d'un effo masseha ? (Où est le masque ?) très enjoué mais cependant très maladroit ou volontairement très provoquant, un brin infantilisant, juste ce qu'il faut. Diabolique. En prime, c'est ce que j'entends toute la journée, partout, dès que les gens réalisent que je ne porte pas le masque, guéverette, effo masseha ? Y compris dehors; un type m'a même hélée de loin hier, dans la rue, effo masseha, je lui ai dit Salut papa, je t'avais pas reconnu !

Il a paru surpris mais le message est passé je crois.

Donc l'Américaine avec son Effo masseha ? dès qu'elle me voit... Je suis arrivée de justesse à réprimer un batahat shelar, prêt à fuser... ça veut dire dans ton cul... 

C'est vrai, quoi, c'est quoi cette question à la con ? T'as ta carte de flic, poulette ? Mais, mêle-toi donc de tes fesses !

C'est ça que j'aurais dû lui dire. Fuck ! Clairement. Si j'avais eu le cran de m'opposer à la meute, aux quelques clébards qui me mordaient les mollets, je ne me serais pas fait virer comme une malpropre. Il est vrai que je n'ai pas été soutenue, le chef, comme je l'ai dit, étant quelqu'un de psychologiquement faible, avec un profil de conformiste et une phobie des conflits - qu'il fait donc tout pour éviter - il a préféré sacrifier une brebis plutôt qu'imposer son point de vue au troupeau. Car évidemment il trouve ça anormal, ces mesures imposées par la mairie... Mais sur la question du masque, il faut le porter selon lui, c'est par respect de la vie en société, qu'il m'a dit. Allons donc ! Disons plutôt que c'est par adaptation scrupuleuse et passive à la folie collective... Il appelle ça respect, et moi, soumission : on n'a pas le même lexique, le chef et moi.

Il m'a appelée, hier, pour me dire que le Tav Yarok allait être mis en place et que seuls les gens vaccinés ayant reçu leurs deux injections seraient susceptibles d'être admis à participer à la chorale. Chose que tout le monde a l'air de trouver normale. Les choristes ont hâte de pouvoir chanter dans un environnement sécurisé.

Ces gens ne sont-ils pas écoeurants ? Franchement ? Un genre de secte, finalement, des dingues, persuadés que je pouvais les mettre en danger, eux et leur précieuse vie, tout en menaçant l'ordre établi et le groupe tout entier... Le problème est que ces abrutis se soutenaient mutuellement. Se renforçant, et s'aggravant, même, je dirais, dans une sorte de psychose collective qui les soudait contre moi...

Allons, du calme. Lâche l'affaire, ma fille. Ainsi me donné-je des conseils avisés en m'appelant ma fille : je m'appelle beaucoup moins souvent mon garçon, ça m'excite et ça m'empêche de travailler. (C'est une blague de Desproges que j'ai retaillée pour mon usage personnel) Lâche l'affaire, ma fille, la plus belle musique du monde ne vaut pas que l'on ait à subir ce genre de fachos. Oui le répertoire est magnifique, oui, cette Messe à Buenos Aires, de Palmeri, est fabuleuse et c'est un tel pied de chanter ce chef d'oeuvre absolu, tout en écoutant ces harmonies somptueuses, c'est d'une telle force...

Ils ne sont même pas conscients de ce fonctionnement malsain. Tant pis pour eux, tant pis pour moi... Tant mieux, peut-être ? La vie me fait signe de continuer mon chemin, de trouver une autre chorale, de créer la mienne peut-être... Une chorale clandestine qui aurait lieu dehors... Dans la rue... Dans les kibboutz... Ou chez moi ! Y'a la place !

La vie continue, et demande qu'on accepte les joies et aussi les tristesses, les frustrations... La plus belle musique du monde, on peut aussi l'écouter... Grâce à internet et Youtube... La technologie a quand même du bon !

Voici donc cette Misatango de Palmeri :


Enjoy !


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